« Je suis venu ici parce que je voulais étudier la musique et devenir violoniste professionnel, et non à cause de la politique. Mais si mon violon peut servir d’un autre pont pour la paix, alors naturellement, je n’ai pas d’objections » dit Wissam Tayam, l’étudiant de musique palestinien qui avait été obligé de jouer sur son violon le 9 novembre au check-point Beit Iba près de Naplouse [1].
L’incident avait été filmé par une organisation de défense des Droits Humains, Machsom Watch, [2] publié dans le Ha’aretz, provoquant un esclandre public.
Tayam (29 ans) est arrivé jeudi après-midi au Kibboutz Eilon en Galilée Ouest, en tant qu’invité de l’organisation bénévole Keshet Eilon, afin de participer à un séminaire de trois jours pour violonistes. Il insiste sur le titre d’« étudiant en musique » puisqu’il n’a commencé que récemment à étudier le violon.
Lors de son arrivée au kibboutz, Tayam a été reçu par beaucoup de militants de Keshet Eilon dont le directeur Gilad Sheba. « Keshet (qui signifie en hébreu archet) est pour nous l’archet d’un violon mais aussi un portail pour communiquer et amener les gens ensemble » dit Sheba. « Nous cherchons à agrandir le cercle de violonistes sans nous soucier de l’endroit d’où ils viennent. Nous avions entendu parler de l’histoire de Tayam et l’avons contacté en passant par l’université et ce sans aucun lien avec la politique ; notre intention est sincère et ce n’est pas un « truc ». J’espère qu’il reviendra, peut-être pour un séminaire plus long cet été ».
Tayam a été très touché par l’accueil ainsi que par le bruit qu’ont fait les médias autour de son arrivée au kibboutz. « As-tu peur ? » lui ai-je demandé en arabe. « Non » répondit-il « Explique leur que j’ai l’impression d’être dans un rêve et que je suis ravi. Je n’ai pas cru que je réussirais à venir ici. Je n’ai pas cru que je traverserais les check-points et arriverais ici...Ma famille était très inquiète, pas parce que je venais en Israël mais parce que je devais traverser des check-points tout au long du trajet ».
Tayam est le plus jeune d’une fratrie de quatre frères et de six sœurs et il est le seul à n’être pas marié. Il a toujours vécu dans le camp de réfugiés d’al-Fara, entre Naplouse et Jénine, en Cisjordanie. Ces 18 derniers mois, il passait presque chaque jour par le check-point de Beit Iba pour aller à l’université An-Najah de Naplouse.
« C’est la première fois que je viens ici. Tu sais, un de mes rêves est d’aller à Tel Aviv. Je n’ai jamais été impliqué en politique. Tout ce que je veux, c’est étudier la musique et avancer dans ce domaine, mais je n’ai pas d’opportunités. Quand ils m’ont contacté et demandé de venir en Israël, je n’ai pas hésité parce que j’ai pensé que seul quelque chose de bien pouvait sortir de cela. »
« Je n’ai pas non plus demandé la permission à quiconque ni à l’Autorité Palestinienne, parce que j’étais invité par des artistes sans aucun lien avec la politique. Je sais qu’il y a des personnes de notre côté qui ne voient pas ma décision favorablement et qui m’accuseront de normaliser les liens, mais cela ne m’inquiète pas ».
Lors de la conversation dans les bureaux de Keshet Eilon, d’autres violonistes qui étudient au centre musical sont arrivés et parmi eux, un violoniste arabe israélien de Peqi’in, Mahoul Mahoul, qui est venu avec son fils et un autre enfant apparenté. Tayam est intrigué. « Des arabes israéliens viennent aussi ici ? » « Tout le monde vient ici » a répondu Mahoul.
Tayam se souvient clairement de l’incident au check-point ; « Je passais par là presque chaque jour, sans violon, et n’avait pas rencontré de problèmes spécifiques. Il y a environ 2 mois, un des conférenciers du département de musique m’a demandé d’acheter un violon. J’avais environ 500 NIS [3] et j’ai acheté un violon fabriqué en Chine. Le jour suivant, je suis arrivé au check-point et les soldats ont vu que je tenais quelque chose dans les mains et m’ont demandé d’aller au ‘ciment’ ».
Le ciment ? « C’est un endroit sur le côté et ceux à qui on dit d’aller là-bas, savent qu’ils ne passeront pas facilement ; Puis ils m’ont demandé de jouer, et je ne savais pas quoi jouer. Je me suis souvenu de quelques petits morceaux que j’avais appris, alors j’ai commencé à les jouer et de les répéter jusqu’au moment ou, au bout de 3 heures, ils m’ont laissé passer. Je ne m’étais pas aperçu qu’il y avait un photographe et quelques jours plus tard j’ai appris que la photo avait été publiée partout dans le monde. Je ne savais pas que cela ferait autant de bruit, mais les soldats au check-point ont vu la photo et chaque fois que je venais avec le violon, ils me retardaient pendant un long bout de temps ».
Tayam est le seul musicien parmi les 5.000 habitants du camp de réfugiés d’al-Fara. Il attribue son amour de la musique à un cousin qui vit en Jordanie et joue de l’oud et du violon.
« Aller à des concerts et à des ateliers de haut niveau comme ici est pour moi un rêve » dit Tayam. « Je veux apprendre et m’améliorer et devenir un maître du violon. Peut-être dans quelques années, les choses s’inverseront et que j’inviterai des violonistes du monde entier et d’Israël et que nous donnerons un concert dans le camp de réfugiés. Cela semble bizarre mais tout peut arriver s’il y a la paix et plus de check-points ».